lundi 20 février 2023

Tu seras un homme mon fils

En ce moment, je passe beaucoup de temps à écouter ce texte de Rudyard Kipling interprété par I Murvini et Grand Corps Malade: Tu seras un homme mon fils. J'ai vu il y a quelques temps que ce texte faisait débat auprès des féministes, car le fils y est directement mentionné et pas la fille.

Les traits de caractère décrits sont effectivement des attributs masculins et, quand bien même une fille peut les présenter, il n'en demeure pas moins qu'ils appartiennent à l'archétype masculin dit de virilité.

Ce texte est, pour moi, un guide incroyable sur le chemin de la vie. Chaque vers n'est compréhensible qu'avec le temps et l'expérience et c'est, selon moi, ce qui le rend si riche. On peut en comprendre une version différente à tout âge.

Aujourd'hui, j'aimerai inscrire la mienne.


Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Cette strophe ouvre le poème. Elle représente pour moi le premier véritable obstacle de la vie d'un homme. Le garçon va construire sa vie. Il va bâtir son empire. Mais ce qui définira son caractère et le marquera à jamais sera le jour où il perdra tout ce qu'il a mis des années à construire. Et cela arrivera, car cela arrive toujours.

Nous passons des années à construire nos vies sur des fondations que nous croyons solides, pour finalement se rendre compte qu'une bourrasque un peu trop virulente aura raison de notre bâtisse.

Alors voilà, sommes-nous capables de contempler les décombres de ce que nous avons mis une vie à bâtir, d'y faire face, de l'accepter en silence et de recommencer comme si de rien n'était ? Quelle force renfermons-nous au fond de notre être ?

Lorsque nous perdons, est-ce que nous désespérons ? Est-ce que nous nous plaignons ? Ou au contraire, sommes-nous capables de regarder la réalité en face et de déclarer "c'est ainsi" sans tenter d'échapper à la douleur ni à la souffrance, mais au contraire, de l'accepter, d'y faire face, de l'accueillir pour la transformer ?


Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Le garçon qui découvre l'amour et le désir va s'en éprendre et en devenir fou. Il ne contrôlera ni ses pulsions, ni ses envies, ni ses sentiments. L'amour et le désir sont de formidables propulseurs de motivation. Ils sont l'ultime raison d'avancer et ce depuis la nuit des temps.

Pourtant, la passion amoureuse est loin d'être la plus saine. Si elle s'utilise comme un carburant puissant, elle s'épuise rapidement et laisse un goût amer à son départ. Qui plus est, son absence pousse à un désespoir si grand que nous nous sentons forcés d'aller chasser un autre coeur, un autre corps, une autre substance qui supplantera ce sentiment et nous permettra d'avancer.

A contrario, la perte de quelqu'un ou de quelque chose de précieux peut nous pousser à nous renfermer sur nous-mêmes afin de ne plus laisser personne nous atteindre. Parvenir à utiliser cette force formidable qu'est l'Amour sans pour autant y succomber ou sombrer entièrement est un art qui s'apprend, comme lors de la première strophe, en faisant face à la douleur, en l'accueillant, en l'acceptant et en la transcendant par la volonté de vivre de nouvelles expériences.

Finalement, être capable de dissocier la haine ou la colère d'autrui de la personne, car nous comprenons que les émotions ne font que les traverser comme elles nous traversent. Ainsi, peu importe les sentiments d'autrui à notre égard et sans céder aux nôtres, être en mesure de défendre ce qui nous est cher et de ne pas se laisser soumettre.


Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;

Si la première strophe parlait des atteintes portées à nos biens et la seconde à nos coeurs, la troisième évoque le respect de ses propres valeurs.

Le garçon dit la vérité car il sait qu'il se fera prendre s'il ment. En effet, ses parents et les adultes autour de lui sont capables de lire en lui comme dans un livre ouvert. Mais avec le temps, le garçon apprendra, comme les adultes, à mentir et à camoufler la vérité. Là, les conséquences ne tomberont pas. Et il se trouvera même arrangé parfois.

Là où le garçon devient homme, c'est non pas car il craint la punition parentale ou le coup de bâton du karma, mais bien car la vérité est sa valeur et son code de conduite propre.

Ainsi, nous sommes testés. Sommes-nous capables de dire la vérité, d'être honnêtes, droits et justes dans ce que nous sommes même lorsque personne ne regarde ou pire, nous accable ? Sommes-nous capables de faire face à la calomnie, de nous tenir droits face à l'adversité, le mensonge et la perfidie ?


Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

La popularité et la notoriété corrompent le coeur du garçon. Naturellement, celui qui amuse et plait au plus grand nombre va sans cesse chercher cette reconnaissance et cet amour. La course à la reconnaissance peut vite mener à des déboires et faire de l'artiste ou de l'athlète, une simple poupée de jeu.

De plus, lorsque le garçon a traversé les épreuves qui l'ont rendu fort, aisé et haut placé, le défi est de conserver les valeurs qui font son intégrité. Et plus encore, qu'il n'oublie jamais qu'il a un jour été en bas. C'est pour cela qu'il est d'autant plus important de faire partie du peuple lorsque nous nous tenons aux côtés des rois.

Enfin, les amis sont la famille que nous nous choisissons. Être capable d'aimer l'autre, l'étranger que nous avons appris à connaître comme s'il s'agissait d'un frère, d'un membre à part entière de sa famille témoigne d'une certaine grandeur d'âme.

Seulement, comme vu lors de la seconde strophe, ne pas non plus laisser cet amour virer à l'obsession ou au laxisme. Ne pas tout tolérer sous prétexte que nous aimons la personne. Ne pas non plus idéaliser, adorer un autre homme. Car le véritable amour ne se trouve pas dans l'acceptation ou la dévotion totales qui sont plutôt synonymes de soumission, mais bien dans le respect mutuel et l'amour sain.


Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur;

La connaissance est un art qui se développe au fil des ans. Le garçon pense tout connaître. Il ne devient homme que lorsqu'il se rend compte qu'il ne sait rien. D'où l'intérêt et la pertinence de sans cesse apprendre à observer, filtrer et, évidemment, vivre le monde qui nous entoure. Car ce dernier se renouvèle chaque jour et nous dévoile de nouvelles facettes de lui-même et, par écho, de nous-mêmes.

Lorsque nous avons trop vécu, trop observé et trop connu, le danger est que nous soyons désormais certain de tout savoir. Contrairement au garçon qui n'a pas l'expérience, le garçon qui l'a vécue peut s'enfermer dans une pensée unique et fermée à toute possibilité de changement ou de différence.

Suivant une thématique similaire, le rêve représente l'idéal. Avoir en tête un idéal est important, si ce n'est essentiel à la vie de l'homme car cet idéal est ce qui déterminera ses objectifs. Cependant, placer l'idéal au-dessus des réalités humaines ne conduit qu'à la destruction et au chaos de soi et des autres.

Enfin, être capable de se faire sa propre opinion compte tenu de son vécu et de celui d'autrui. Mais sans jamais oublier que l'action va de paire avec la pensée. Si la pensée est seule, nous nous complaisons dans un monde imaginaire et nourrissons un état qui pourra s'avérer anxiogène. Lorsque la pensée est formulée, elle doit être traduite en action afin de permettre à l'homme cohérence et intégrité.


Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Cette strophe rappelle simplement les vertus primaires de la virilité. L'homme est capable de fermeté sans accès de colère, de courage sans témérité et de vertus sans en tirer de profit social.

Le garçon devient homme lorsqu'il apprend à maîtriser et à pondérer ses émotions.


Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Après s'être forgé en se battant contre le monde et contre lui-même, le garçon pourra rencontrer le succès après l'échec. Là encore, pour devenir un homme, il devra comprendre que l'un ne va pas sans l'autre. Triomphe et Défaite ne sont que deux revers d'une même médaille, d'où le nom de "menteurs".

Aussi important soit-il de ne pas se laisser embarquer par le désespoir de l'échec, il ne faut pas non plus céder aux plaisirs de l'abondance artificielle. Tout ce qui est acquis un jour peut être retiré. Échouer aujourd'hui ne signifie pas échouer demain autant que gagner aujourd'hui ne signifie pas gagner demain.

Ce qui fait la différence entre l'homme et le garçon n'est pas le nombre de succès que l'un est capable d'enchaîner par rapport à l'autre. C'est combien de fois avons-nous pu relever la tête et garder le sang froid lorsque tous les autres cédaient à la panique et au désespoir ? C'est combien de fois avons-nous pu garder les pieds sur terre et la vue claire lorsque tous les autres cédaient aux tentations et aux plaisirs artificiels ?


Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme, mon fils

Lorsque le garçon ne craint plus les sanctions des Rois ni les sorts des Dieux et est capable de provoquer la Chance et d'atteindre la Victoire, alors tout obstacle et toute adversité devient une opportunité et un tremplin dans sa vie.

Mais plus que tout, au-delà de tout ce que le garçon aura obtenu, il aura gagné une chose plus précieuse encore : le garçon sera devenu un homme.

Symboliquement, il dominera son monde, mais la véritable réussite résidera dans le fait qu'il se dominera lui-même.

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